Frozen dreams.

Plongeon glacé dans l’abstraction figurative.

Lac Baïkal, Sibéri, Russie, 2018.

Interview Frozen Dreams par le magazine Fisheye :

1 - Quelle est la genèse de ce projet ?

Je préparais un voyage au Lac Baïkal en 2018. Y aller en mars me garantissait de le trouver gelé au point de pouvoir marcher, rouler, vivre sur sa surface sans le moindre risque.

Partir si loin implique de bien choisir sa destination, afin de forcer le potentiel de création de belles images, sur un ou plusieurs thèmes. Sur le web, en faisant un repérage des lieux qui pouvaient être intéressants à aller creuser photographiquement, j'ai entrevu sur certaines images des formes abstraites dans les épaisseurs gelées. C'est là que j'ai imaginé cette série. Je sentais qu'un potentiel s'offrait à celui qui saurait aller cherches des formes, des compositions dans les profondeurs glacées, un peu comme on en chercherait en plongeant notre regard dans un ciel nuageux. Disons que j'ai espéré. Quelques mois plus tard, après 2 vols et 15 heures de 4x4, j'ai atteint le bord du lac sur lequel j'allais passer 12 jours. Soulagement : alors que les roues du vieux minibus 4x4 crissaient sur la glace sombre, je découvrais des lignes blanches aléatoires... Je croisai les doigts pour qu'il ne neige pas par dessus . C'est arrivé au 6e jour. J'ai donc eu 5 jours pour développer cette série, avant de me retrouver dans un tout autre environnement, tout blanc, encore plus minimaliste et tout aussi envoutant.

2 - Comment décrirais-tu le lac Baikal à quelqu’un qui n’a jamais eu la chance d’y aller ?

Le lac Baïkal, ce n'est pas seulement "la plus grosse réserve d'eau douce liquide du monde".

Le lac Baïkal en hiver, c'est une autre planète, gelée, où l'absence de vie apparente ferait presque oublier qu'en dessous de la surface gelée épaisse d'un mètre, un immense écosystème aquatique vit, dans une profondeur de 1600m. Vivre le lac Baïkal, c'est quitter la Terre (ferme ;-), et vivre dans un lieu où tout est infini : sous nos pieds l'eau, au dessus de notre tête le ciel sans nuage, et autour de nous, à 360° degré, la ligne d'horizon. Le sol, soit noir, soit blanc, est presque absent dans nos chaussures de grand froid si épaisses (il fait -35°C), et on expérience un ailleurs étourdissant de simplicité, une autre dimension, un autre monde.

3 - Un mot quant au titre, quels étaient ces rêves gelés ?

Prendre des photos dans les épaisseurs de la surface glacée, c'est parcourir quelques mètres par heure, un pas devant l'autre au ralenti, le regard se promenant sur le sol transparent, en oubliant le temps qui passe, l'appareil photo entre les mains avec le trépied, à chercher des formes étranges qui peuvent avoir du sens pour moi et pour ceux qui verront un jour mes images. C'est trouver un entre-deux abstrait, néanmoins entre la réalité physique de ce terrain si étrange et notre réalité à nous, humains. L'esprit vagabonde entre réalité et abstraction. Entre l'instant présent et les pensées alternatives. L'esprit s'échappe puis revient. Et parfois, alors qu'on ne s'y attend pas, la magie du cerveau humain travaillant presque seul opère ! Cela surgit sous les yeux : ça y est, là il y a quelque chose d'intéressant à immortaliser. J'avais donc forcément l'impression d'être en la réalité et le rêve, vacillant de manière volontaire.

Et puis, le fait que ces formes naturelles si envoutantes soient éphémères, le temps d'un hiver, me rappelle, à l'échelle de la planète, la fugacité d'un rêve.

Et enfin, en regardant une image de la série Frozen Dream, moi le premier, notre esprit vagabonde, partant dans un rêve, racontant une histoire personnelle, imaginée, incontrôlable, comme lorsque nous rêvons.

4 - Dans quelles mesures la neige, la glace a influencé ta pratique photographique ?

Bien équipé (appareil et batteries résistant au froid extrême, vêtements et autres), le froid peut presque être géré... C'est la glace terriblement glissante et le vent qui s'ajoutent à ce froid, qui font que développer une véritable série photographique est presque un défi. Le vent glace le visage, le regard, les mains, le cerveau ! Il faut se faire violence pour shooter encore et encore, de jour comme de nuit, jusqu'à l'image parfaite et passer à une autre recherche de composition à quelques mètres de là. Le fait que cela glisse beaucoup fait que l'appareil et le corps bougent et si l'on veut du piqué sur les images, il faut coupler bonne installation et bons réglages. Mais finalement, c'est un jeu ! Être totalement concentré, détecter un potentiel, créer une image dans ces conditions, avec un cerveau et des mains figées par le froid, oui c'est un jeu, un défi, un challenge, et une exaltation à l'état pur.

5 - Une image de la série qui te tient particulièrement à cœur, et que tu souhaiterais commenter ?

La première présentée ci-dessus.La neige chassée par les tempêtes de vent (c'est ainsi qu'elle est évacuée d'ailleurs) laisse apparaitre ce qu'elle cachait depuis des jours, les ténèbres glacées du lac, ténèbres qui n'en sont pas puisque la vie y foisonne.La légèreté des flocons de neige venant lutter avec la glace si solide et dense.La neige que l'on ne reconnait pas.La glace que l'on ne reconnait pas.Je vois dans cette image la dernière page d'un livre ouvert.Une fin comme une autre.Une fin qui n'a pas de fin.

6 - Frozen Dreams en six mots ?

PLONGEON GLACÉ DANS L'ABSTRACTION FIGURATIVE.

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